[Scroll #3] Une (longue) année sur les réseaux
Décembre 2020
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Internet en 2020, avec ou sans modération ?
En 2020, une fois de plus le sujet de la haine en ligne a été très présent dans le débat public, en particulier au moment de la Loi Avia. Un débat ancien comme le web (même plus vieux en fait), réactivé à chaque crise et qui pointe la question de l’anonymat ou plutôt du pseudonymat et celle de la responsabilité des plateformes. La réponse apparait simple, pour limiter la haine en ligne il suffirait de rendre l’anonymat impossible et de contrôler drastiquement les espaces de discussions. Mais comme souvent, la réalité est plus complexe.
Ainsi aux Etats-Unis la communauté pro Trump qui avait coutume de se réunir et d’organiser ses campagnes depuis la très libertarienne (voire épicentre du trollisme) plateforme Reddit dans le r/The_Donald a finalement été bannie cette année au terme de plusieurs tentatives avortées. Loin d’éteindre la communauté ce bannissement a eu pour conséquence de la déplacer vers d’autres espaces moins modérés comme Discord. Bref, un succès en demi-teinte, qui permet surtout de mettre en lumière la plasticité des communautés en ligne qui se décomposent et recomposent à une très grande vitesse. Dans une longue analyse le chercheur Manuel Ribeiro (lire ici) avance même que le bannissement, dans le cas des pro-Trump, s’il a permis de limiter les recrutements de nouveaux membres a eu des effets négatifs sur les membres restants qui se sont montrés plus agressifs encore dans leurs communications. Comme le souligne le Pr. J.Nathan Mathias “I understand lawyers have reasons for bundling a lot of policy under content moderation & speech debates. But communication/coordination are more fundamental social processes. If we don’t acknowledge that, we won’t be able to imagine workable and just digital social policies.”
Il faut aussi ajouter que l’anonymat a également permis de libérer la parole de victimes comme on a pu l’observer avec les mouvements Balance ton Agency ou les Lionnes, pour ce qui concerne notre secteur. A contrario, certains appellent à la haine sans avoir recours à l’anonymat.
On le sent, le débat est piégé et la solution très complexe. A l’aune de notre expérience, il faut garder à l’esprit que les réseaux sociaux sont avant tout des espaces sociaux (oui c’est un peu tautologique de le dire) et que l’attention doit d’abord être mise sur une compréhension fine des usages et admettre que les réponses seront multiples entre éducation au média, design des interactions et probablement aussi restrictions.
Team mur blanc vs. team déco maximaliste: quand la vie professionnelle s’invite à la maison
En 2017, le professeur Robert Kelly, consultant pour BBC, voit sa très sérieuse intervention sur la géopolitique interrompue par sa fille débarquant dans le bureau en plein live. Il y a 4 ans, c’était suffisamment exceptionnel pour que la scène devienne virale. Cette année pourtant, après plusieurs mois en télétravail, nombreux sont ceux qui ont une anecdote similaire à raconter. En nous faisant rester à la maison, le COVID-19 nous a forcé à ouvrir nos foyers à nos interlocuteurs.
Bien entendu, pour la plupart d’entre nous, cela n’a pas été une partie de plaisir, et l’option « flouter l’arrière plan » a été une planche de salut pour beaucoup. Pourtant, il faut admettre que cette plongée dans le quotidien redistribue un peu les cartes en matière de communication. A l’heure où politiques et décideurs essayent désespérément de toucher les « jeunes » et de paraitre spontanés sur les réseaux sociaux, 2020 a plus que jamais permis à la communication politique, corporate et décideurs de s’affranchir des codes et des chartes bien cadrées : on montre ses collaborateurs travaillant chez eux, on shoote les campagnes des pub à la maison, on se met en scène dans son salon (ou sa cuisine), et peu importe si le rendu final n’est pas 100% parfait. En 2020, l’expression « faire avec les moyens du bord » a pris tout son sens. Le résultat ? Une communication plus humaine que jamais.
Et dans ce domaine, une personne fait référence : Jacinda Ardern, première ministre néo-zélandaise. Très adepte des live Facebook, elle n’a pas hésité, dès le mois de mars, à prendre la parole en direct depuis son salon pour répondre aux interrogations des citoyens et parler de ses actions. Posture naturelle et gros sweats viennent apporter au discours un élément de proximité qui manque parfois si cruellement aux décideurs sur les réseaux sociaux. De quoi donner des idées pour 2021 ?
Politiques: même pas peur sur les réseaux sociaux
Malgré une forte présence sur les réseaux sociaux, les personnalités politiques françaises en avaient, jusqu’à récemment, un usage assez conventionnel. Toutefois en 2020, nos élus osent et mouillent la chemise ! Que ce soit dans leur maîtrise des stories Instagram, lors d’interactions directes avec des militants sur Twitter ou pour des débuts plus ou moins prometteurs sur TikTok. Au-delà des stratégies électorales, cette communication a les mêmes objectifs que les entreprises aujourd’hui : toucher un public large, faire de la pédagogie ou montrer la réalité des métiers. Quelques réussites et échecs de nos élus :
- TikTok est un terrain très prometteur pour s’approcher des publics jeunes et montrer son ouverture. Si pour la plupart l’expérience est assez brève, à l’instar d’Emmanuel Macron, d’autres ont tenté de se démarquer en adoptant les codes de la plateforme, comme Jean-Luc Mélenchon qui rencontre un certain succès (plus de 7M de vues). Résultat plus mitigé pour Marlène Schiappa malgré sa reprise du viralisant « Jeune entrepreneur »…
- Montrer les coulisses en story sur Instagram n’a plus de secret aujourd’hui. Et s’il y en a bien un qui en a la maîtrise, c’est Bruno Le Maire. Outre une utilisation très personnelle de son feed (avec la découverte du fameux Jackie), le ministre sait parfaitement équilibrer ses « teasing » de réunions interministérielles et coups de cœur personnels. De son côté, Gabriel Attal profite de ses déplacements pour interagir avec le public via le sticker Questions, plus ou moins sérieusement.
- Enfin, c’est une révélation pour son usage de Twitter en 2020 : Jean-Baptiste Djebbari n’a pas peur de faire de la pédagogie en répondant aux questions des internautes et en interagissant avec la sphère militante. Toujours calme et précis, il sait également faire preuve d’humour quand on remet en question son style vestimentaire.
TikTok x l’industrie musicale
En 2020, à l’heure où la majeure partie des concerts ont été annulés et où l’industrie musicale est fortement impactée par la crise sanitaire, il semblerait qu’il n’y ait pas de meilleure plateforme pour la musique que TikTok.
On l’a tous bien compris : les formats les plus populaires sur l’application sont les chorégraphies. A titre d’exemple, la chanson Blinding Lights de The Weeknd a été utilisée plus de 3 milliards de fois pour réaliser la chorégraphie virale s’y rattachant, alors que le titre n’a été vu « que » 194 millions de fois sur YouTube. Une aubaine pour les chanteurs qui bénéficient de la notoriété de la plateforme : Dua Lipa, Doja Cat, Drake ou encore Cardi B sont les grands gagnants de ce côté-là cette année. La viralité des chorégraphies permet également à des morceaux tombés dans l’oubli de réapparaître ou à des chanteurs peu connus d’émerger rapidement. C’est par exemple le cas du duo français Videoclub avec leur titre Amour Plastique qui a notamment été utilisé par Chase Hudson, un TikToker américain qui compte plus de 20 millions d’abonnés et repris rapidement par des milliers de TikTokeurs du monde entier.
Revers de la médaille : bon nombre de morceaux utilisés sur la plateforme le sont sans l’accord du label, le risque pour TikTok étant que les vidéos qui utilisent un morceau pour lequel aucun contrat de licence n’existe soient retirées automatiquement de la plateforme comme c’est déjà le cas sur YouTube. Si les artistes profitent de la notoriété et de la visibilité de TikTok, cela ne s’accompagne donc pas toujours d’une rémunération en conséquence. Néanmoins, il semblerait que la situation soit amenée à évoluer au vu du nombre croissant de partenariats entre TikTok et les labels. Affaire à suivre en 2021.
Les concerts virtuels, substituts temporaires aux concerts classiques ou tendance durable ?
Interruption des tournées, annulation de festivals, fermeture des salles de spectacle et bouleversement des calendriers de promotion : 2020 a bien été une année sinistrée en ce qui concerne la musique live. L’éloignement physique des artistes et de leur public, imposé par les mesures sanitaires et le confinement, a cependant été l’occasion de découvrir de nombreuses initiatives portées par le digital.
Tout d’abord, les réseaux sociaux ont été le premier support vers lequel les artistes se sont naturellement tournés pour retrouver la proximité perdue avec le public. De très nombreux lives Facebook et Instagram ont ainsi marqué notre confinement, et nous ont même parfois permis d’assister à quelques scènes de ménage atypiques. Comme l’indique un article récent de Rolling Stone, les réseaux constituent aujourd’hui le prolongement naturel du streaming, qui connaît actuellement une relative perte de vitesse. Alors que des plateformes comme TikTok et Instagram Reels encouragent le public et les artistes à créer leur propre contenu musical, la démocratisation de la production musicale et la nouvelle phase de croissance de l’industrie pourraient ainsi être portées par les réseaux. En témoigne par exemple cette année le premier « tube de l’été » français issu de TikTok à travers la chanson Anissa de Wejdene…
Si l’épidémie n’a pas révolutionné les modalités de la diffusion musicale, elle a agi comme un véritable accélérateur d’une transition visible depuis plusieurs années : la diversification des supports digitaux. En témoignent par exemple les succès retentissants des concerts de Travis Scott sur Fortnite ou encore celui de The Weeknd sur TikTok. Mais une fois la phase épidémique derrière nous, les concerts digitaux auront-ils un avenir sérieux ? Si le très récent partenariat stratégique de Tencent Music avec la startup américaine Wave pour l’organisation de concerts virtuels tend à confirmer cette hypothèse, le modèle économique des concerts en ligne repose sur un équilibre aujourd’hui très fragile. Au-delà d’un prix des billets largement inférieur à un concert traditionnel sur la plupart des plateformes, les nombreux exemples de concerts rémunérés (Gorillaz, The Oh Sees, Rodrigo et Gabriela), organisés cette année sur Twitch, Patreon ou encore Seated ont dans la plupart des cas été accompagnés de features « complémentaires », allant du merchandising à l’accès à des masterclasses en ligne. Entre abonnements, gratuité et one shot, aucun véritable modèle économique n’a pour l’instant émergé en ce qui concerne les concerts virtuels.
Au-delà des concerts, quelques faits musicaux notables cette année :
- L’indiscutable réhabilitation de Phil Collins cette année, entre vidéos virales au format « first time hearing » et Phil Collins Challenge
- « Bande organisée » du collectif 13’Organisé, clip le plus vu sur Youtube cette année. Si l’esthétique générale « claquette-chaussette-autotune » ne sera pas du goût de tout le monde, ce « All stars band » phocéen représente aussi un beau symbole d’unité intergénérationnelle pour le rap marseillais, et une respiration entre 2 clashs duty free.
- Le retour gagnant d’AC/DC avec son album Power Up, en tête des charts dans de nouveaux pays. La preuve s’il en est que l’on peut être l’un des plus grands groupes de rock du monde, avoir vendu des 45 tours par millions, un chanteur sourd et un batteur emprisonné tout en maîtrisant l’art du teasing Instagram.
Streaming interactif et communauté gaming, remèdes au confinement ?
Besoin de s’échapper de l’enfermement et de la monotonie en s’immergeant dans des mondes virtuels étendus, mais aussi besoin accru d’interagir et de retrouver sa communauté d’amis pour partager de bons moments. 2020 et ses multiples confinements ont sans doute contribué à finir d’imposer Twitch dans le paysage du social media, bien au-delà de l’influente communauté des gamers qui a contribué à la populariser.
La plateforme de streaming live et interactive, rachetée en 2014 par Amazon a en effet vu des records de fréquentation pendant les confinements successifs, ainsi qu’une diversification de ses contenus et ce n’est pas seulement à cause des enseignants qui ont investi la plateforme pour assurer les cours à distance.
- Burberry est ainsi devenue la première marque de luxe à diffuser son défilé sur Twitch en y présentant en septembre sa collection printemps/été 2021. Un pari intéressant qui a fait parler de lui et constitue un signal faible de l’intérêt croissant des marques pour la plateforme et son audience jeune amatrice d’expériences immersives.
- En politique également, Jean-Luc Mélenchon (70k abonnés), souvent précurseur dans l’adoption des nouveaux médias, a ouvert sa chaîne sur la plateforme des meetings numériques qui lui permettent d’échanger avec ses soutiens. L’occasion de rappeler que Jean Massiet y commente régulièrement l’actualité politique pour plusieurs dizaines de milliers de viewers via sa chaîne Accropolis. Donald Trump compte quant à lui 150k abonnés.
- Côté médias, quelques incursions vers la plateforme se font enfin sentir, avec le service Pixels du Monde qui a ouvert une chaîne, certes dédiée aux sorties jeux vidéo, mais qui pourrait inspirer de nouveaux formats.
- Enfin, rappelons le succès du marathon caritatif de gamers Z Event, qui depuis 2016 bat chaque année des records de fundraising grâce à la mobilisation de têtes d’affiches venues de Youtube ou de…France TV : plus de 5,7 M d’euros collectés en 3 jours pour Amnesty International en octobre ! Même Emmanuel Macron et Luke Skywalker saluent l’exploit !
Bref, les signes que Twitch, 19e site le plus visité en France, continue à acquérir ses lettres de noblesse dans les conversations en ligne, au fil des confinements et des curiosités sociétales (comme l’illustre l’engouement pour les échecs suscité par la série Netflix The Queen’s Gambit). Certainement y a-t-il une petite place pour vous aussi !
Pendant le confinement, le monde du tennis laisse libre-court à sa créativité
Alors qu’elle devait, comme toute bonne année paire, constituer une période faste pour le monde du sport, 2020 n’a pu, pour les raisons que chacun sait, tenir ses promesses. Pour autant, elle a vu fleurir, grâce aux réseaux sociaux, de nombreuses initiatives qui, bien qu’elles n’ont pu pleinement combler les attentes des sportifs de canapé, ont au moins eu le mérite de proposer des divertissements originaux, en attendant la reprise. Les stars de la petite balle jaune se sont montrées extrêmement productives en la matière, du plus classique au plus surprenant :
Côté classique, on note par exemple les défis sportifs proposés notamment par Roger Federer ou Andy Murray qui ont suscité une forte attention et ont été reproduits par nombre d’internautes parmi lesquels d’autres stars du tennis comme Novak et Jelena Djokovic, ou l’ancienne gloire du tennis iranien Mansour Bahrami, grand habitué des tennis tricks, notamment au « tournoi des légendes » de la Porte d’Auteuil.
Toujours cadrée mais plus inattendue, l’initiative de Gael Monfils, qui a lancé l’émission « Smash Club » sur sa chaîne Twitch, dans laquelle il interviewe différentes personnalités du monde du sport et d’ailleurs, en compagnie de l’ancienne tenniswoman Alizé Lim et de l’e-sportif professionnel Norman « GEN1US » Chatrier. La chaine Twitch du joueur le plus spectaculaire du tennis français a connu un tel succès qu’il a été approché par Webedia afin de faire partie de ses streamers officiels.
D’autres se sont adonnés à des activités d’intérieur. Au-delà des tentatives de maquillage de l’étoile montante américaine Cori Gauff (qui a aussi profité du confinement pour commencer à apprendre le français !) ou des parties de golf en intérieur de la française Kristina Mladenovic, on retiendra en particulier les longs lives Instagram de Benoit Paire et Stanislas Wawrinka, baptisés « StanPairo », lors desquels les deux tennismen ont révélé les coulisses de leurs vies sur le circuit ATP et de leurs carrières respectives, en noyant leur ennui dans des cocktails de plus en plus improbables…
Quant à Maria Sharapova, la jeune retraitée a surpris ses fans en donnant son numéro de téléphone sur Twitter, invitant ses abonnés à lui écrire pour lui parler d’eux, lui poser des questions ou même lui envoyer des recettes de cuisine. Une démarche étonnante que plusieurs célébrités ont adopté depuis 2019 en rejoignant le service Community.
Enfin, les joueurs ont aussi contribué à l’effort collectif : ainsi, le bad boy australien Nick Kyrgios a montré sa générosité en postant sur Instagram un message invitant quiconque était dans le besoin à cause de l’épidémie à lui demander n’importe quel service (et pas à la cuillère).
Pourquoi les joueuses et joueurs de tennis ont-ils été si actifs sur les réseaux pendant le confinement de printemps ? Pour la psychologue Meriem Salmi, interrogée par La Croix, il s’agit d’un moyen de compenser les interactions qu’ils ont normalement avec leurs fans… Qu’il est loin le temps où on critiquait l’inculture du public de Flushing Meadows et l’indiscipline des spectateurs de Roland Garros !